Gael
Back to the Future
Ce que l’avenir nous réserve, Esméralda Bernard peut le voir. Dans sa tête et dans ses cartes. De sa grand-mère médium, elle a hérité ce talent dont elle use avec prudence et sincérité.
A la sortie d’Aywaille, son village natal qu’elle n’a jamais voulu quitter, la maison d’Esméralda est toute petite. Si petite qu’on a presque l’impression de pénétrer dans une maison de poupées. Sauf que les objets d’art ethniques qui la décorent n’ont rien d’enfantin malgré leurs airs naïfs. Le petit salon aux couleurs éclatantes contraste avec le cabinet lilliputien à l’atmosphère intimiste. Une impression de sobriété et de modestie imprègne cette habitation pas tape-à-l’œil pour un sou. Rien à voir avec un antre de Madame Irma. Tout comme Esméralda, malgré un prénom prédestiné, n’a rien de l’archétypale voyante de foire enturbannée, enjuponnée, bijoutée et entourée de grigris, interrogeant dans la pénombre son tarot ou sa boule de cristal à la lueur tremblante d’une bougie.
Sous le signe de la passion
La quarantaine épanouie, Esméralda est une femme moderne en pantalon de cuir, souriante, impeccablement brushée, manucurée et fière de son âge : « A quarante ans, on est plus mûre, plus philosophe. Et je suis toujours aussi enthousiaste et pleine de projets » Normal : elle est bélier ascendant lion, née sous le signe du feu, de la fougue, de la passion. Et si elle allume une bougie au début d’une consultation, c’est symbolique : « Quand j’allume ma bougie, je pénètre dans un autre monde, je suis tout entière à la personne qui est dans mon cabinet ; J’entre dans sa vie et je sors de la mienne. Quand je l’éteins, c’est comme si je refermais une porte. » Et quand elle est en vacances, elle fait le black-out. Jusqu’a 20 ans, Esméralda n’a jamais rien « vu » A l’époque, elle était une jeune fille accro à la mode qui travaillait dans le prêt-à-porter. Jusqu’a ce qu’une sœur de sa grand-mère (disparue et inconnue d’Esméralda ) vienne lui annoncer en rêve la mort prochaine de celle-ci, que rien ne laissait présager. Prémonition qui s’est révélée exacte. Elevée dans un univers féminin et aux côtés d’une grand-mère médium dont elle était très proche, la jeune fille a accueilli cette faculté sans sourciller : « L’intuition est la part visible de voyance que chacun a en soi. Tout le monde possède ce don. Mais si on ne l’accepte pas, on ne le développe pas. A partir du moment où j’en ai pris conscience, il m’était impossible de poursuivre ma route dans le prêt-à-porter. » De plus, quand une cliente entrait dans la boutique, Esméralda sentait, voyait des choses la concernant et ne pouvait rien dire. Frustrant.
Conscience professionnelle
Elle commence donc sa carrière de voyante. Elle apprend à canaliser ces flashes « sauvages » afin qu’ils ne s’expriment qu’en consultation et envahissent pas toute sa vie. Et voilà 20 ans qu’elle exerce. Avec méthode, dit-elle. Et une grande conscience professionnelle. « Je débute chaque consultation par un test pour voir si je capte bien la personne. Si ce n’est pas le cas, on s’arrête là. Pour chacun, j’établis une fiche avec mes prédictions. C’est ce qui me permet d’évaluer mon travail, de vérifier mon taux de succès que j’estime à 80 %. Et je suppose que si j’ai énormément de clients qui reviennent, c’est que je ne raconte pas trop carabistouilles » Car oui, Esméralda a des clients qui la consultent depuis 20 ans. Et cette fidélité, dit-elle, c’est sa plus bel récompense. D’ailleurs, n’essayez pas – sauf réelle urgence – d’obtenir un rendez-vous la semaine prochaine : son agenda est rempli jusqu’à fin avril. Esméralda est aussi la fondatrice de l’association « Delta Blanc » , destiné à faire le ménage dans la profession et à édicter des règles d’éthique que tout(e) voyant(e) honnête devrait s’engager à respecter. Parce que l’éthique est un des ses deux chevaux de bataille. Le second est de lutter contre l’agaçant costume de madame Irma qu’on taille à ceux qui possèdent le don de voir. C’est pourquoi elle accepte de se prêter à des expériences en présence de scientifiques. Et même parfois devant les caméras, comme lors d’une émission de la RTBF où on lui demandait de décrire des enveloppes. Sa description de l’une d’entre elles correspondait aux deux tiers. Pour elle, une belle victoire. Mais ça n’a pas suffi à convaincre le sceptique de service. « La voyance n’est pas reproductible à souhait. Je ne suis pas un distributeur de boissons, proteste Esméralda. D’ailleurs, je le dis d’emblée à mes clients. Parfois je ne vois rien. Dans ce cas, on en reste là et ils ne payent pas.
Flashes
A côté des flashes, visions polysensorielles qui lui font ressentir la douleur, une odeur, un goût ou une texture, la chaleur…, Esméralda s’appuie sur les tarots pour situer ses prédictions dans le temps. Serions-nous vraiment les jouets du destin ? « Nous avons des rendez-vous avec lui. Grâce à la voyance, on peut s’y préparer. Aborder les choses autrement même si on ne peut pas les éviter ». A nous, elle n’a rien prédit. Elle annonce très clairement la couleur dans son livre(1) : elle a horreur des profiteurs qui essaient d’avoir vite une petite voyance à l’œil. Pourtant, on ne peut pas dire qu’elle soit cupide. Pas plus de 3, maximum 4 voyances par jour : il faut une bonne demi-heure pour récupérer entre chaque séance. Elle consacre une heure et demie à chaque consultation et demande 55 Euros. « Je pourrais demander beaucoup plus, mais l’argent n’est pas un but en soi. Il est juste nécessaire pour vivre confortablement ».
Isabelle de Naeyer